L’arrivée de la ligne à Grande Vitesse (LGV) est prévue aux alentours de 2020. Les travaux d’aménagement des voies ont déjà commencé sur la portion Matabiau-Saint Jory. La LGV, c’est un projet de liaison des métropoles européennes. En France, Toulouse reste une des seules grandes villes à en être épargnée. Et s’il en est ainsi, c’est certainement qu’à Toulouse plus qu’ailleurs, l’aviation sera toujours plus rapide et reviendra toujours moins cher que le train. Les trois heures promises par la SNCF pour faire de Toulouse une banlieue de Paris ne seront pas à la hauteur des soixante-cinq minutes d’Air France ou des trente-cinq euros d’Easyjet. La LGV est une sorte de messager qui sillonne l’Europe par les rails. Partout où elle passe, elle reformule les paysages et homogénéise l’espace. L’objectif de la LGV ne réside pas tant dans la réussite proprement économique du projet que dans une volonté determinée d’uniformiser l’Europe. Pour accueillir la LGV, on fait des villes propres, bien rangées, nettoyées, purgées de tous les recoins encore vivables qui y subsistent. Et entre ces villes, on raye de la carte purement et simplement les endroits où elle passe. De Kiev à Lisbonne, les différences de formes de vie se résumeront bientôt à porter, ici une doudoune, là un short.
Après Euralille, Lyon-Part-Dieu ou encore Stuttgart 21, à Toulouse cette entreprise porte le nom de Toulouse Euro Sud Ouest: TESO. TESO est un projet, déja bien ficelé, de réfection du quartier Matabiau-Marengo-Raynal-Périole. TESO, c’est la création d’un nouveau centre pour Toulouse. Un centre de flux: flux de voyageurs, de marchandises, d’affaires. Flux d’automobilistes, de piétons, de cyclistes, d’usagers de transports en commun. Une gare plus grande, plus opérationnelle, des immeubles de bureaux voisinant des immeubles d’habitation, un centre commercial, une aire de jeux pour enfants, une coulée verte. Mais plus encore, TESO est la clé de voûte de tout le projet urbanistique de Toulouse, ce qui lui donne du sens et par là le justifie. Les multiples et incessants chantiers actuels sont réalisés dans cette perspective. Pas de chirurgie esthétique du centre ville et des bords de la Garonne sans l’ambition de créer, de la gare au fleuve, un parcours de boutiques et d’émerveillement architectural. Pas de trajet de tramway bidon le long des allées Jules Guesde si ce n’est pour mener, à terme, via les bords relookés du canal, à ce nouveau centre. TESO se veut être le projet qui va refonder Toulouse. Le projet qui va enfin la faire devenir une métropole digne de ce nom: une vraie base de gestion et de contrôle des flux à l’échelle européenne.
Que l’urbanisme construise une idée de la vie est une évidence pour tous, à commencer par les urbanistes. Ce qui est plus sournois est que l’idée de la vie qu’il construit se veut toujours exclusive et qu’il entend énoncer toutes les façons autorisées d’habiter la ville. Aujourd’hui, la mode est au développement durable, à la solidarité urbaine ou encore aux transports propres et à l’intermodalité. Ce sont les nouvelles composantes du jardin d’Eden urbain. Mais cela n’a rien de fondamentalement différent de tout ce qui s’est fait auparavant. Du Mirail à l’écoquartier en passant par la place Occitane, c’est toujours la même volonté, plus ou moins dissimulée, qui se manifeste, de contrôler la vie par le contrôle de l’espace. Que ce soit par un périphérique ou par une piste cyclable, l’urbanisme n’en finit pas de dicter quel chemin l’on doit suivre.
TESO n’est pas plus unique qu’exceptionnel. Des LGV vont ceinturer toute l’Europe. Un énorme aéroport se prépare au nord de Nantes. Des lignes THT veulent traverser la Catalogne et la Normandie. Telle centrale nucléaire se construit à Cherbourg, telles éoliennes industrielles dans le Tarn. Et Marseille se fait remasteriser comme capitale européenne de la culture. Ces infrastructures participent d’un même mouvement. Elles sont les bases matérielles d’un même dispositif de pouvoir européen. Par l’importance de sa diffusion, ce pouvoir a cet inconvénient que l’on ne sait jamais trop par où attaquer. Mais il a aussi l’énorme avantage de pouvoir être assailli conjointement de partout. Contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la résistance ne cesse de grandir, que ce soit du côté des paysans comme des occupants des zones expropriées. Contre le TGV Lyon-Turin, ce n’est plus seulement dans le Val de Suse que l’on crie NO TAV mais dans toute l’Italie. Et grâce à des déboulonnages répétés dans le Cotentin, RTE a bien du mal à continuer la mise en place de ses lignes THT. La lutte contre TESO n’est pas seulement locale mais une particularité de la lutte générale contre les infrastructures du pouvoir. Il s’agit alors de comprendre les spécificités du projet TESO et de les éclairer à la lumière de ce qui se passe ailleurs. Une lutte conséquente contre TESO ne se limite pas à préserver telle ou telle vie de quartier exproprié au gré des bulldozers ou à abattre le symbole de l’urbanisme toulousain. Elle vise à en finir avec le processus généralisé d’uniformisation de la ville et par là-même, de la vie.
Ceci est un appel à inventer et construire un mouvement d’ampleur contre le projet Toulouse Euro Sud Ouest. Quand le désir de vaincre est commun, l’hétérogénéité est une force. La question est donc pour nous, avec ingéniosité et audace, de s’insinuer dans toutes les failles et d’attaquer par tous les angles possibles. Pour commencer, l’idée serait de se retrouver pour partager nos vues, empêcher le bon déroulement des concertations publiques, lutter contre les expropriations et, le moment venu, de bloquer le début des chantiers.
Télécharger le texte en PDF en cliquant ici.